dimanche 18 novembre 2007

À propos de cruauté et de solidarité...

Il y a quelque chose qui me dit que les jeunes adéquistes ne connaissent rien à la pauvreté. En tout cas, pour proposer des conneries comme une limite de 4 ans à l'aide sociale, ils ne sont surement pas issus de familles pauvres, ni ne doivent en côtoyer. Une telle proposition en dit long sur leur ignorance, leurs préjugés et leur haine de classe.

Par exemple, un imbécile heureux délégué du Lac-Saint-Jean l'illustrait à merveille quand il déclarait (sans rire) que «la période de quatre ans (de prestations), ce n’est pas des vacances payées». Des vacances payées! À 550$ par mois! Heille, le jeune: wake up and smell the coffee...

La réalité de l'aide sociale c'est que c'est un enfer dans une société riche comme la notre. Les prestations sont nettement insuffisantes pour couvrir les besoins essentiels et plongent les gens dans des logiques de survie extrêmement précaires. Pour finir à l'aide sociale, il faut être complètement dépouillé et avoir épuisé toutes ses ressources personnelles. Comme l'aide sociale suit en général une période de chômage, ça fait déjà un bout que la personne est «hors circuit». En général, elle est complètement démolie et ne se relève pas très rapidement (ça prend huit ans dans la moitié des cas!).

Penser pouvoir remettre rapidement les prestataires «apte au travail» au boulot sans augmenter radicalement les prestations et les budgets de formation relève de l'utopie ou de la pensée magique. Vouloir les forcer à le faire en limitant la durée des prestations est d'une dureté qui relève de la cruauté et d'un sadisme populiste. En plus, il y a de forte chance que ce soit contre-productif au chapitre des finances publiques puisque, si ça peut marcher pour certaines personnes, il est clair que ça ne marchera pas pour d'autres et que ça va entrainer des couts importants (en santé et services sociaux, notamment). Comme le disait crument Pierre Fortin dans Jobboom il y a quelques mois: «Il y en a bien assez d'itinérants comme ça aux abords du métro Berri-UQAM!»

(Parlant de Jobboom je suggère à tous la lecture de leur dossier La trappe du BS. Très instructif et, pour une fois, on donne la parole à d'autre monde qu'aux suspects habituels.)

Solidarité sociale

Officiellement, l'aide sociale ne relève ni de l'altruisme, ni de la charité mais de la solidarité sociale. Il est peut-être bon, pour le bénéfice des adéquistes et des autres, de rappeler ce qu'est exactement la solidarité. Selon le Petit Robert, la solidarité c'est «la relation entre personnes ayant conscience d'une communauté d'intérêts qui entraine, pour les unes, l'obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance». Selon Wikipédia, «la solidarité lie la responsabilité et le destin de chacun à ceux de tous, de sorte que chacun doit affronter les problèmes rencontrés (ou provoqués) par un seul membre du groupe».
Par définition la solidarité est inconditionnelle. Le seul fait d'appartenir au groupe, ici la société, commande la solidarité.

La solidarité sociale existe parce que les salariés savent que nul n'est à l'abri d'une bad luck (licenciement, maladie, etc.), que la responsabilité individuelle n'est jamais seule en cause et qu'on arrive rarement à s'en sortir tout seul. Dans ce contexte, mieux vaut assumer collectivement le risque. À l'origine, la solidarité sociale prenait la forme de mutuelles ouvrières (certaines existent toujours mais la plupart se sont transformée en compagnies d'assurance). Ce n'est que depuis une cinquantaine d'années que cette solidarité de classe «privée» a été prise en charge par l'État.

(Notons au passage que si les anarchistes sont contre l'État, ils et elles ne sont pas contre la solidarité sociale et la redistribution de la richesse. Il faut être vraiment stupide pour s'opposer «au B.S.», à l'éducation ou au système de santé public sous prétexte que c'est l'État qui s'en charge. D'un côté, mieux vaut l'État que le privé et, de l'autre, tout cela existerait encore, et serait même développé, dans une société libertaire, ce serait tout simplement organisé différemment.)

Aller plus loin

Il est même possible d'aller plus loin que le concept de solidarité sociale. Ça va être dur à avaler pour les adéquistes mais l'aide sociale est un droit (et non un privilège). Il s'agit de la traduction locale de certains articles du Pacte des droits sociaux, économiques et culturels qu'ont signé le Québec et le Canada. Le Pacte reconnait en effet «le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence».

En allant encore plus loin, il faut reconnaitre le droit des individus de choisir consciemment de ne pas occuper d'emploi salarié et de «vivre» de l'aide sociale. Le travail salarié n'est pas la seule contribution sociale valable. Plusieurs groupes revendiquent donc un «revenu de citoyenneté» qui remplacerait toutes les prestations d'État et garantirait à tous et toutes un niveau de vie décent. On peut chipoter sur les détails du projet mais l'idée de base est bonne. Ce serait bien le minimum dans une société qui se prétend civilisée.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

2 fois en un mois... tu vas commencer à croire que je m'acharne... Eh oui! À lire ce que vous écrivez.

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Une note sur le B.S.:

Ce n'est pas que je n'aimes pas voir dans le B.S. une mesure de solidarité sociale. En fait, je suis plutôt d'accord que les idéologies socio-économiques de droite --Ex. ADQ, PC, PLQ, PL, etc.-- sont le fruit d'une absence de solidarité. Mais la solidarité sociale s'exprime véritablement par l'action directe à mon avis, pas par l'action indirecte de l'État. Le B.S., c'est l'expression indirecte de cette solidarité, mais c'en n'est pas vraiment. Sous couvert de se décharger de l'obligation de l'État de fournir une assistance à sa population --penser état-providence-- l'État met en place quelque chose d'autre, qu'une part de la société civile s'approprie intellectuellement et qualifie de solidarité sociale.

Le B.S. s'apparente davantage à un RÉGIME D'ASSURANCE. L'assuré: la société... des bons citoyens qui travaillent et subviennent à leur propres besoins sans avoir à violer la propriété privée des autres. Le risque: les crimes commis par les miséreux qui ont trop faim et doivent voler le pain pour survivre.

Pourquoi cette observation? Elle n'est pas que rhétorique; elle est fondamentale car elle est au coeur même des argumentaires politiques électoralistes. L' "action indirecte", sa portée, son étendue est parfois "objet de débat". D'un côté, ceux qui croient que l'état-providence doit se décharger au mieux de sa capacité --et s'assurer les moyens d'avoir celle-ci-- de son obligation de venir en aide aux citoyens en besoin. D'un autre côté, il y en a qui croient que le meilleur de sa capacité n'est pas justifié. Ils croient qu'il faut régler le niveau d'aide --comme on règle un thermostat ou un robinet d'eau chaude-- selon le besoin... besoin qu'il faut mesurer et là il y toutes sortes de barêmes, mais vraiment, toutes sortes!

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Une question sur l'anarcho-communisme:

Le B.S., l'éducation ou le système de santé public "serait même développé, dans une société libertaire, ce serait tout simplement organisé différemment"... Comment? De quoi ça aurait l'air?

(((P.S. Ça me donne un frisson dans le dos de lire "il faut reconnaitre le droit des individus de choisir consciemment de ne pas occuper d'emploi salarié et de «vivre» de l'aide sociale." Je ne sais pas pourquoi?! Le droit de choisir un mode de vie, comme libertaire politique, je suis d'accord. Comme communiste socio-économique, j'ai de la misère avec l'idée de vivre par choix en situation de dépendance par rapport à la société d'appartenance, j'y vois quelque chose d'extrêmement malsain. Finalement, comme conservateur en matière sociale, je ne suis pas d'accord du tout.)))

Nicolas a dit…

Non, je ne vois pas d'acharnement. Si on n'avait pas voulu de commentaires, on aurait pas fait de blogue!

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Pour moi le BS relève de la solidarité sociale --tout comme la santé et l'éducation-- parce que même sans avoir cotisé, tout le monde y a droit.

C'est peut-être indirect mais, étant donné la façon dont notre société est organisée, l'État demeure la seule instance qui peut effectuer la répartition de la richesse de façon universelle et non à la gueule du client ou à son mérite présumé.

C'est sur qu'outre cet aspect, l'élite en tire profit de plusieurs façons (paix sociale minimale, pression à la baisse sur le salariat, etc.).

On peut avoir de la difficulté à chiffrer exactement ce que serait une prestation couvrant les besoins essentiels mais on peut au moins s'entendre sur le fait que la prestation actuelle est très clairement insuffisante.

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L'abolition de l'État n'implique pas l'abolition du politique. Des institutions politiques non-étatiques prendront le relai, que ce soit des fédérations de conseils, de soviets, de communes, what ever.

On peut imaginer un service publique libertaire décentralisé, qui recevrait ses ressources et ses orientations des instances politiques, mais qui serait administré conjointement par les usagers, la communauté et le personnel.

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Sur le fait de pouvoir choisir de ne pas «travailler», je voudrais juste dire que l'ensemble des contributions sociales possibles ne se résument pas au salariat et au travail «productif». Je connais plusieurs personnes plus ou moins «mésadaptées sociales» qui ont énormément de difficultés à remplir les exigences d'un travail salarié mais qui par ailleurs se donnent dans du bénévolat ou dans de la création artistique. Forcer ces gens là à flipper des burgers risque de diminuer la valeur de leur contribution sociale et non de l'augmenter. Pour ce qui est du communisme, et bien ça le dit: de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. On verra bien selon ce que chacun est réellement capable de donner et selon là où ils sont le plus «productif» socialement.